Axe de travail 1:
Orientation stratégique et convergence

Guider l'intégration des solutions de financement et d'assurance des risques climatiques et de catastrophes dans les contextes internationaux de changement climatique et de résilience.

Perspective : Vers un monde plus résilient

Gérer les risques mondiaux dans une nouvelle ère de plus en plus complexe

par Prof. Markku Wilenius

TRANSITION VERS UNE ÉRE NOUVELLE

Quel est le point commun entre un phénomène d’envergure mondial tel que la crise financière de 2008, le rythme très alarmant du changement climatique sur ces dix dernières années et l’effondrement économique dû à la pandémie actuelle ? Le dénominateur commun entre ces évènements est, d’une part, qu’ils ont été une surprise totale pour 99 % des gens et, d’autre part, qu’ils ont des conséquences considérables sur nos systèmes globaux.

Outre une réponse générale, on peut également apporter des réponses spécifiques à la question de savoir pourquoi ce genre d’événement se produit. La réponse générale est que ces évènements sont tous le résultat de l’augmentation fulgurante de la complexité de nos sociétés, favorisée par une mondialisation économique toujours plus rapide et par une intensification des nouvelles technologies. C’est précisément à ce moment que la probabilité d’un événement majeur inattendu (nous pouvons parler ici d’ « événement X ») augmente. Les réponses spécifiques vont de l’ignorance délibérée face à la bulle immobilière, à l’absence de contrôle de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, en passant par l’exploitation animale systématique.

La conséquence ultime de ce développement mondial frénétique est évidente : nous entrons désormais dans une ère nouvelle et souvent tourmentée, faite de défis et d’opportunités sans précédent¹. Cette nouvelle ère appelle à des idées, des structures et des systèmes nouveaux permettant de traiter et de gérer les risques mondiaux de ce siècle. Dans le récent rapport du Forum économique mondial sur les risques globaux, six des sept principales menaces mondiales identifiées étaient liées à l’environnement².

À l’aube de cette ère nouvelle, nous découvrons que nos mécanismes de contrôle nationaux et régionaux du 20e siècle, associés à nos mécanismes supranationaux souvent relativement faibles, tels que les Nations Unies, sont inévitablement devenus obsolètes. Que ce soit pour des raisons de prévention, d’aversion ou d’adaptation, il est clair que nous allons avoir besoin de nouveaux outils qui répondront mieux aux vulnérabilités à venir.

La perspective de nos systèmes nous apprend une leçon importante : si nous voulons répondre de manière adéquate à la complexité des problèmes auxquels nous faisons face, il est indispensable que le mécanisme de gestion reflète la grande complexité du système. De ce point de vue, nous avons besoin d’institutions et de mécanismes adaptés à l’impact grandissant des nouveaux risques qui nous attendent. Nous devons également avoir une meilleure conscience et une plus grande compréhension afin de mener une véritable action.

Tout ceci explique pourquoi nous avons tant besoin de mécanismes pour nous protéger des futurs risques causés par nos interventions brutales dans l’environnement naturel. L’assurance des risques climatiques et de catastrophes est une mesure viable pour un grand nombre d’entités exposées à des évènements extrêmes. Les gouvernements intègrent de plus en plus l’assurance des risques climatiques et de catastrophes, ainsi que d’autres instruments de financement des risques, dans leurs stratégies globales de gestion des risques, alors qu’ils subissent les conséquences financières des chocs climatiques. Puisque le changement climatique compromet la stabilité économique, nous allons devoir trouver de nouveaux moyens de gérer cette situation sans précédent. L’assurance est une mesure d’adaptation climatique efficace qui contribue activement au traitement et au contrôle des risques. Alors que les pertes économiques mondiales liées aux catastrophes avoisinent désormais 300 milliards de dollars par an, il est temps d’utiliser la protection financière. Nous devons planifier à l’avance afin de pouvoir mieux gérer les coûts des catastrophes, garantir un accès sûr et rapide aux ressources nécessaires et modérer les impacts fiscaux sur le long terme³. Nous avons besoin de mesures proactives et adaptées à la complexité du problème.

¹Voir par exemple : IPCC 1.5℃ -Report.
²Ce rapport a été établi avant la crise du Covid-19.
³Voir le rapport « Sovereign Climate and Disaster Risk Pooling ».

PASSER DU RISQUE À L’INCERTITUDE

Dans le monde d’après le Covid-19, il semble qu’il existe différentes pistes alternatives pour l’avenir. D’après, le très récent rapport du conseil consultatif sur les risques mondiaux du Forum économique mondial, après la crise du Covid-19, le monde pourrait être bien plus nationaliste, conflictuel et divisé qu’auparavant. D’un autre côté, il est également possible que nous nous dirigions vers une conscience collective et une action globale renforcées.

Il va sans dire que nous avons besoin d’un système mondial plus résilient et plus durable. Face aux nouveaux risques mondiaux émergents, ce système devra présenter les propriétés suivantes : a) des informations pertinentes sont rapidement échangées à travers le monde, peu importe leur provenance, b) les décisions sont prises rapidement et sont mises en œuvre sans délai, et c) leur application s’opère à l’échelle mondiale. La lutte contre la pandémie actuelle a clairement mis en évidence le manque de leadership mondial, avec des conséquences catastrophiques pour de nombreuses économies. Au vu du grand nombre de décès liés à la pandémie et de l’augmentation massive de l’endettement, se remettre de cette crise sera un parcours extrêmement long et difficile.

Tout ceci montre qu’il est impératif de collaborer plus étroitement les uns avec les autres afin de traiter et de gérer nos préoccupations communes, dans un monde qui s’est considérablement mondialisé au cours des quinze dernières années. Nous avons besoin de davantage de résilience dans nos systèmes, ce qui signifie que nous devons envisager une nouvelle ère dans laquelle les gouvernements construisent des liens de coordination et de coopération beaucoup plus forts lorsqu’une menace mondiale émerge. Que le défi soit d’empêcher des risques sanitaires d’évoluer en pandémie ou d’établir des mesures efficaces contre l’accélération du changement climatique, dans le monde d’après le Covid-19, nous devons être capables de tout faire mieux que nous l’avons fait jusqu’à présent. Le coût de l’incapacité de notre système actuel à réagir rapidement et de manière adéquate est tout simplement trop élevé, à la fois pour les gouvernements et pour les individus, les familles et les autres entités.

Les leçons tirées de la pandémie actuelle se répartissent en trois volets. Premièrement, la lenteur de réaction de grands pays, tels que les États-Unis ou le Brésil, leur a coûté très cher. À l’avenir, il est impératif que les réactions soient plus rapides et plus fermes. Deuxièmement, la coordination mondiale a été terriblement insuffisante. Le budget de l’Organisation Mondiale de la Santé est à peu près équivalent à celui d’un hôpital moyen. On ne pouvait donc pas raisonnablement imaginer un autre scénario. Par ailleurs, les gouvernements devraient avoir l’obligation de suivre ses conseils. Dans le contexte de pandémie actuel, de nombreux pays ont ignoré ses avertissements. Nous devons mettre en place des règles de base communes et une institution qui serait chargée d’effectuer cette tâche. Troisièmement, même s’il y a eu une collaboration scientifique accrue pour comprendre le virus et développer un vaccin, il y a encore trop d’informations qui s’accumulent en raison d’intérêts financiers présumés ou pour d’autres raisons. Afin de garantir une réaction rapide et efficace à une échelle suffisante, il est essentiel d’intensifier la collaboration scientifique. L’information basée sur des données scientifiques est la seule véritable option pour développer nos actions en s’appuyant sur des connaissances, plutôt que sur des suppositions politiques approximatives ou sur des intérêts personnels.

Dans cette ère de complexité croissante, nous nous apprêtons à entrer dans un monde où le calcul de risque traditionnel perd du terrain, tandis que la compréhension des incertitudes prend une importance capitale. Les prévisions quantitatives avec des estimations de probabilité sont peut-être adéquates dans les conditions de systèmes plutôt déterministes et naturels qui présentent peu de variables et de boucles de rétroactions. Mais dans un monde d’incertitude dynamique et structurelle, cette approche ne suffira plus. Nous allons avoir besoin de scénarios qualitatifs tenant compte de facteurs qui ne peuvent pas être modélisés, tels que les « jokers » (wild cards) et les « cygnes noirs » (black swans), ce type d’événements qui ne figurent presque jamais dans les calculs de risques classiques et qui peuvent pourtant faire surface dans la réalité, comme la résultante de facteurs inconnus.

Alors que nous avons encore besoin de certains instruments quantitatifs pour calculer les risques liés aux produits d’assurance et que nous avons besoin de données anciennes pour garantir nos prévisions, il nous faut également, dans cette période de complexité croissante, de nouvelles approches plus qualitatives pour évaluer les risques pour lesquels nous ne disposons d’aucunes données historiques. Cela est dû au fait que l’utilisation de probabilités quantifiées, même celles provenant d’une analyse tendancielle rigoureuse, peut produire des résultats soit totalement erronés, soit trop présomptueux, lorsqu’il s’agit de nouveaux types d’incertitudes.

Dans un monde rempli d’incertitude, la seule issue possible est de se préparer à toutes sortes d’éventualité et d’être prêt à mettre en place une réaction immédiate si un élément inattendu se présente.

 

Alors que nous avons encore besoin de certains instruments quantitatifs pour calculer les risques liés aux produits d’assurance et que nous avons besoin de données anciennes pour garantir nos prévisions, il nous faut également, dans cette période de complexité croissante, de nouvelles approches plus qualitatives pour évaluer les risques pour lesquels nous ne disposons d’aucunes données historiques.

Cela est dû au fait que l’utilisation de probabilités quantifiées, même celles provenant d’une analyse tendancielle rigoureuse, peut produire des résultats soit totalement erronés, soit trop présomptueux, lorsqu’il s’agit de nouveaux types d’incertitudes.

QUELLES SONT LES PISTES ALTERNATIVES?

Nous avons donc besoin de davantage de visibilité, d’une compréhension plus holistique de ce qui se passe actuellement. Utiliser les outils qualitatifs à meilleur escient pour évaluer les futures options nous permettra d’étendre notre horizon et de penser au développement mondial en termes de directions. Examinons maintenant ce point dans le contexte du monde d’après le Covid-19. Cinq scénarios peuvent être extrapolés pour mettre en avant les différents résultats possibles4:

Toutes ces issues sont possibles dans une ère post Covid-19 pas si lointaine. Il est en effet difficile de dégager un scénario plus probable que les autres. Cependant, ce que nous pouvons faire à ce stade, c’est penser en termes de résilience.

4 L’auteur remercie l’équipe de prospectivistes du Stockholm Environment Institute d’avoir mis en avant ces scénarios.

VERS UN MONDE PLUS RÉSILIENT

La notion de résilience signifie maintenir la capacité d’agir même dans des situations inattendues. Alors que nous nous dirigeons vers l’après Covid-19, nous devrions nous employer à augmenter notre résilience dans les domaines suivants:

1. Nous avons clairement besoin d’une institution transnationale avec une véritable couverture mondiale, capable de fournir les outils nécessaires pour gérer des risques et des incertitudes intersectoriels et fortement interconnectés. Cette institution devrait aider les gouvernements nationaux à évaluer leurs options dans différents scénarios.

2. Nous avons besoin de politiques plus scientifiques et fondées sur les preuves. La crise du Covid-19 nous a appris combien il est important de savoir et de comprendre les vraies raisons sous-jacentes aux crises majeures, et de construire des politiques fondées sur des preuves à partir de cela. Les pays qui ont sollicité les conseils d’experts et qui ont entrepris des actions fermes et précoces sont ceux qui se sont le mieux tirés de cette crise du coronavirus. Il devrait en aller de même concernant le problème encore plus grand auquel nous devons désormais faire face : la crise climatique.

3. Nous devons définir les rôles spécifiques des différentes institutions sur le terrain. Pour cela, nous devons soutenir davantage d’activités pour différents réseaux d’organisations locales. Dans le même temps, nous devons déployer des efforts bien plus importants pour accroître la collaboration mondiale, comme le montre le Partenariat mondial InsuResilience et sa vision destinée à renforcer la résilience des pays en développement.

Nous ne pouvons pas nier que nous avons désormais atteint un point auquel il est plus que jamais nécessaire d’envisager le genre d’avenir que nous voulons. À partir de cela, en utilisant la méthode du « backcasting », qui consiste à élaborer une feuille de route allant de l’avenir vers le présent, nous pourrons élaborer une vision qui nous guidera vers l’avenir et qui nous aidera à éviter la voie de l’opportunisme à court terme.

Le futur, en définitive, appartient à ceux qui l’imaginent, le conçoivent et le réalisent. Dans le nouveau monde au sein duquel nous entrons, nous devons nous appuyer sur l’avenir, et non sur le passé.

L’auteur

L’auteur est professeur de futurologie à l’université de Turku, en Finlande, et directeur de la Dubai Future Academy. Il a également été nommé à la « Chair of Learning for Transformation and Planetary Futures » de l’UNESCO. Il a occupé un poste de cadre supérieur chez Allianz SE pendant plusieurs années.